Guy Bukasa (RD Congo U-20) : “Nous voulons bâtir un futur solide pour le football congolais”

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Depuis sa nomination à la tête des U-20 de la RD Congo, Guy Bukasa s’est attelé à redonner un élan à une génération de joueurs longtemps en manque de compétitions internationales. Grâce à un travail de fond, une vision claire et une planification rigoureuse, le technicien congolais a permis aux Léopards de décrocher leur qualification pour la CAN U-20, une première depuis 2013.

Après un début de tournoi UNIFFAC compliqué, marqué par une défaite face au Congo-Brazzaville 1-0, son équipe a su inverser la tendance pour s’imposer et valider son billet pour la compétition continentale. Un succès qui témoigne d’une montée en puissance du football congolais, à l’image des récentes performances des sélections nationales et des clubs du pays.

Dans cet entretien accordé à CafOnline.com, Guy Bukasa revient sur les défis rencontrés pour structurer cette équipe, la nécessité d’unir joueurs locaux et binationaux, ainsi que les leçons tirées des expériences passées. Il évoque aussi les ambitions de la RD Congo pour la CAN U-20 en Côte d’Ivoire et l’importance de la continuité avec l’équipe A, en collaboration avec Sébastien Desabre. À quelques semaines de la compétition, le sélectionneur détaille la préparation mise en place et l’objectif ultime de cette génération : hisser la RD Congo sur la scène mondiale en décrochant une place pour la Coupe du Monde U-20.


Après Jean-Claude D’Amico en 1989 et Baudouin Lofombo en 2013, vous êtes le troisième technicien à avoir mené la RD Congo à une phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations U-20. Que représente cette qualification pour vous et pour le football congolais ?

C'est une immense fierté d'avoir réussi ce pari dans des conditions très difficiles. Grâce à Dieu, l'objectif a été atteint, et c’est une grande satisfaction. Au niveau national, c'est un honneur de voir la RD Congo retrouver ce niveau, après plusieurs éditions sans participation. Tout Congolais est heureux de voir enfin nos jeunes compétir face à leurs homologues africains.

Vous avez décroché cette qualification en remportant le tournoi de l’UNIFFAC de votre catégorie. Pourtant, votre parcours avait commencé de manière compliquée avec une défaite face au Congo voisin (1-0). Comment avez-vous su mobiliser votre équipe et trouver les ressources nécessaires pour inverser la tendance et aller chercher ce sacre ?

Honnêtement, nous n'avons pas été très surpris par cette entame. La vérité, c'est que cette catégorie est assez particulière, car cette génération n'a pas eu l'opportunité de jouer en U-17. Nos joueurs découvraient donc le niveau international en U-20, contrairement aux jeunes Brazzavillois qui sortaient d'une belle CAN U-17 et avaient déjà acquis une certaine maîtrise de la gestion de la charge émotionnelle à ce niveau.

Je n'avais aucun doute sur la qualité des joueurs sélectionnés, mais nous savions que l'entame de la compétition allait être compliquée pour eux : l'hymne de la CAF, l'hymne national, tous ces éléments ont fait que nos garçons étaient tétanisés d'entrée et se sont fait surprendre. Mais après cette première expérience, nous avons revu nos erreurs et ils sont pleinement entrés dans la compétition.

La RD Congo n’avait plus participé à une CAN U-20 depuis 2013, soit douze ans d’absence. Quels ont été les moyens mis en place pour parvenir à cette qualification et relancer la dynamique du football congolais à ce niveau ?

Lorsque la gestion de cette catégorie m'a été confiée, j'étais aussi adjoint en équipe première et en équipe locale (CHAN). Avec la direction technique, nous avons défini des étapes de reconstruction et de redynamisation, car cette catégorie était souvent absente lors des rassemblements FIFA.

Avec les moyens disponibles, nous avons essayé de réunir des joueurs au Maghreb, incluant quelques binationaux proches géographiquement. Nous avons organisé des stages contre des équipes plus expérimentées comme le Maroc et la Tunisie, qui nous ont invité à plusieurs reprises. Nous avons perdu ces matchs, mais ils étaient essentiels pour bâtir un groupe solide et reconnecter les jeunes à la fibre patriotique.

Progressivement, nous avons réussi à créer une symbiose entre binationaux et locaux, forgeant une équipe soudée et consciente de son rôle dans l’avenir du football congolais. Ce travail de fond a permis de constituer un groupe solide et combatif à Brazzaville, prêt à relever les défis.

En deux participations à la CAN U-20, la RD Congo n’a jamais franchi la phase de groupes. Quelles leçons tirez-vous des expériences passées et quelles sont vos ambitions pour cette édition ?

Nous avons pour objectif de ne pas nous limiter aux trois matchs de groupe. Cela ne sera pas simple, d’autant que nous ne connaissons pas encore nos adversaires, mais nous allons travailler pour être meilleurs qu'à Brazzaville. Nous voulons nous qualifier pour les quarts de finale et, si Dieu le veut, aller chercher une place en compétition mondiale.

Avec la qualification de la RD Congo pour la CAN senior et la CAN féminine, la victoire du TP Mazembe en Ligue des Champions féminine, ainsi que votre récente qualification pour la CAN U-20, le football congolais semble traverser une période florissante. Comment analysez-vous cette dynamique et quels en sont, selon vous, les principaux facteurs ?

Je pense qu'il y a une prise de conscience collective. Le pays traverse des moments particuliers, et chaque sélection se bat avec une motivation supplémentaire. Il y a aussi une montée en qualité de l’encadrement, que ce soit chez les jeunes, les dames ou l’équipe première.

De plus, il y a aujourd’hui une meilleure coordination dans la gestion des différentes catégories, ce qui était moins le cas auparavant. Même sous comité de normalisation, nous avons réussi à structurer un travail harmonieux. Chaque match devient une occasion pour nos joueurs de donner du plaisir à leurs compatriotes, notamment à ceux qui traversent des moments difficiles.

Cette Coupe d’Afrique des Nations U-20 se tiendra en Côte d’Ivoire, un an après le brillant parcours de la sélection senior qui a atteint les demi-finales. Échangez-vous avec le staff des A pour bénéficier de leur expérience et assurer une continuité dans le développement des jeunes talents ?

Nous travaillons en étroite collaboration avec Sébastien Desabre depuis son arrivée. Nous échangeons régulièrement sur les performances des joueurs et essayons d’uniformiser les méthodologies de travail pour éviter qu'ils ne soient dépaysés en montant en équipe A.

Cette coopération porte déjà ses fruits : plusieurs jeunes que nous avons intégrés à notre projet ont aujourd’hui rejoint l’équipe première. L’objectif est d’assurer une continuité, car l’équipe nationale est une seule entité, avec différentes catégories. Si un joueur excelle en U-20 et que le staff des A estime qu'il a sa place, il sera promu.

Comment décririez-vous votre groupe ?

C’est un groupe qui vit bien, aussi bien au niveau du staff qu’entre les joueurs. Nous avons travaillé sur une base de données d’environ 100 joueurs depuis la mise en place de cette sélection.

Le mix entre locaux et expatriés s’est bien passé, car nous avons réussi à unifier l’équipe. Auparavant, nous avions tendance à fonctionner avec deux groupes distincts, mais aujourd’hui, tous se côtoient, vivent ensemble et poursuivent le même objectif. Il n’y a pas d’ego particulier, tout le monde se met au service de la nation.

Vous êtes un jeune tacticien, quelle relation entretenez-vous avec vos joueurs ?

Quand il faut les aider, on le fait. Quand il faut sévir, on le fait aussi. C'est une catégorie très exigeante. Aujourd’hui, je travaille avec les générations 2005-2006, une tranche d’âge particulièrement exposée à de nombreux signaux perturbateurs, bien plus que leurs aînés. Internet, les téléphones... toutes ces distractions peuvent avoir un impact négatif sur la performance.

Il n’est pas toujours évident de leur faire comprendre qu’ils doivent mettre ces éléments de côté pour rester concentrés sur leur travail. Heureusement, nous avons su adopter la bonne pédagogie. Ils savent que lorsqu’ils rejoignent la sélection, certaines choses sont interdites, et qu’en contrepartie, ils ont aussi des responsabilités à assumer.

Chaque jour, je leur rappelle notre ambition : avoir des joueurs au Real Madrid, à Liverpool… Et cela passe avant tout par le travail et la réussite. Ils en sont conscients.

Nous devons jouer plusieurs rôles à la fois : père, mère, grand frère, et parfois même grand-père. Mais le plus important, c’est que sur le terrain, nous sommes simplement coach et joueur, et chacun doit faire son travail.

Il ne reste plus que quelques semaines avant la grande aventure en Côte d’Ivoire. Qu’avez-vous prévu pour la préparation de ce tournoi ?

L’avantage, c’est que la majorité des garçons sont en activité avec leurs clubs. Toutefois, la situation sécuritaire actuelle dans le pays a entraîné un arrêt temporaire des compétitions locales, ce qui impacte une partie de notre effectif. Dans certaines villes, il est même impossible de jouer.

Nous allons donc capitaliser sur les dates FIFA de mars pour organiser une double confrontation face à une sélection de qualité. L’idéal serait d’affronter une équipe expérimentée et habituée à ce type de rendez-vous. Cela nous permettrait de nous jauger et d’apprendre encore davantage.

Ensuite, nous enchaînerons avec un stage fermé juste avant la compétition, afin d’affiner nos stratégies et d’arriver fin prêts au tournoi.

Ce tournoi revêt une importance particulière puisqu’il servira de qualification pour la Coupe du Monde de la catégorie. Imaginer la RD Congo sur la scène mondiale, au Chili, est un véritable objectif ambitieux. Que représente cette perspective pour vous et votre équipe ? Est-ce une source de motivation supplémentaire ?

Évidemment, lorsqu’un tel challenge se présente, tout compétiteur veut le saisir et en tirer profit. Mais notre rôle, en tant que staff, est de canaliser les joueurs pour que cette ambition ne devienne pas une source de pression.

C’est un défi difficile pour des jeunes qui n’ont pas encore l’habitude d’évoluer sous de telles exigences. Il nous revient donc d’adapter notre discours, de leur présenter les choses de manière à ce qu’ils restent focalisés sur chaque match, chaque performance, sans se laisser submerger par l’idée du Chili.

Nous allons donc travailler à cadrer les esprits et à structurer les ambitions pour avancer étape par étape, avec méthode et sérénité.